La "supply chain" de l'alimentation et ses enjeux
Publié le 16/04/2024Dans ce rendez-vous trimestriel, l'association 4 quarts, basée en Finistère, qui s'intéresse à l'alimentation et à la boisson dans toutes leurs dimensions, nous explique la "supply chain" le circuit des produits alimentaires dans le monde entier et ce qu'implique cette organisation.
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Même si on peut traduire "supply chain" par chaîne d'approvisionnement, ce serait oublier que cette dernière intègre aussi la transformation, l'emballage des produits, en plus du stockage, du transport et de la distribution... Elle suppose trois flux : un flux de matières, un flux financier et un flux d'information. C'est donc un concept très complexe qui va au-delà de la seule logistique.
L'approvisionnement des grandes surfaces et ses effets pervers
En ce qui concerne les grandes surfaces - un tout petit élément de la supply chain - en France, jusqu'à récemment, les grandes surfaces pouvaient ne payer leurs fournisseurs que 3 mois après livraison. Elles pouvaient donc investir l'argent reçu des achats de consommation pendant ce laps de temps, ce qui leur offrait une force financière. Cet avantage concurrentiel a permis à de grandes enseignes de s'implanter dans le monde entier comme Auchan ou Carrefour. Ce décalage des paiements est désormais réduit à 1 mois.
Actuellement en France, on peut parler de trois modèles d'approvisionnement des grandes surfaces : le modèle "intégré" (Auchan, Carrefour) dans lequel l'enseigne possède à la fois ses magasins mais aussi ses centrales d'achat et plateformes de stockage ; le modèle "coopératif" (Leclerc, Super U) avec des magasins indépendants mais des centrales d'achat ou des services marketings mutualisés ; et enfin le modèle à l'allemande (Lidl) avec une seule référence par produit et un engagement prix/quantité de trois ans avec la production. Le système traditionnel des grandes surfaces (système intégré ou coopératif) suppose une chaîne minutée avec une très forte pression sur les fournisseurs et une renégociation permanente des prix. Cela entraîne des blocages et des pertes : un camion de livraison en retard de quelques minutes peut rester à la porte de l'entrepôt de stockage et sa cargaison peut être perdue. Ces pressions et renégociations entraînent aussi des surcouts qui se répercutent dans les rayons.
Dans le cas particulier du système "intégré" les magasins n'ont par ailleurs aucune marge de manœuvre pour s'approvisionner localement auprès de petites fermes ou usines artisanales.
Les circuits courts mis à mal
Les centrales de distribution sont devenues la règle et - malgré quelques grossistes, notamment en fruits et légumes - les petits commerces de proximité eux-mêmes sont contraints de s'approvisionner auprès de ces centrales, en payant donc leur service, ce qui renchérit aussi le coût des produits en rayon. C'est pour cette raison que les commerces de centre ville sont pénalisés et disparaissent. Certes, d'autres solutions se développent comme les magasins de producteurs ou les distributeurs automatiques de produits locaux, mais ça reste marginal.
En outre, le circuit court n'est pas forcément idéal sur un plan environnemental ; si tous les consommateurs d'un territoire viennent s'approvisionner au distributeur automatique pour prendre un ou deux produits à maintes reprises, le bilan carbone de leurs déplacements peut être plus élevé qu'un approvisionnement classique hebdomadaire dans une seule grande surface.
La résilience alimentaire et la sécurité nationale
Pour autant, la supply chain n'est pas nécessairement une garantie de rationalisation des trajets, des modes de transports et des dépenses d'énergie ; c'est d'ailleurs très difficile à calculer. Mais ce qui est certain c'est que le système d'approvisionnement en flux tendus est potentiellement dangereux : Stéphane Linou, dans son livre Résilience alimentaire et sécurité nationale chez The Book Edition, entend attirer l'attention des responsables sur la dépendance de la plupart des territoires, surtout urbanisés, envers la supply chain. Les magasins n'ont en moyenne que trois jours de stock. Si l'approvisionnement est rompu, quelle que soit la cause, les tensions sociales ne tarderont pas à apparaitre car se nourrir est un besoin essentiel. C'est donc une question à la fois agricole, organisationnelle, commerciale mais aussi de sécurité civile et de défense nationale. Les Projets alimentaires de territoires s'emparent parfois de cette question, mais pas systématiquement et souvent timidement.
Autre problème de l'approvisionnement alimentaire, et de sa mondialisation, la spéculation. Les denrées transportées dans le monde entier - essentiellement par bateau - sont parfois contraintes de "zigzaguer' d'un port à l'autre, au gré des ventes et reventes de la cargaison. D'autres pays stockent des denrées (la Chine pour le riz) ce qui fait monter les prix de la matière première. Actuellement, l'envolée des prix des denrées alimentaires est bien plus due à la spéculation qu'aux guerres ou autres aléas géopolitiques.