Avant de s'élargir, l'UE réveille la Communauté politique européenne
Publié le 17/10/2023Chaque mois dans Lem, l'association Breizh Europe Finistère nous aide à comprendre les enjeux de la politique de l'Union européenne : analyses et interviews. Ce mois d'octobre 2023, sur fond de projet d'élargissement, BrEF revient sur un vieux projet qui renaît : la Communauté politique européenne.
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Chronique à deux voix réalisée par Maël Cordeau et Josselin Chesnel
"L’Europe existe plus qu’elle ne le sait elle-même. Je m’emploie à hâter le moment où ses différentes parties, telles des arcs-boutants, se rejoindront pour soutenir la même voûte."
Cette phrase fut prononcée par le président Mitterrand à la toute fin des années 1980.
Aujourd’hui, cette phrase prend de nouveau tout son sens actuellement alors que renaît la CPE, ou Communauté politique européenne.
Cette communauté est un volet en fait assez important du grand sujet de l’élargissement, au cœur du dialogue européen.
La Communauté politique européenne des années 1980
Il est dit que c’est le président de la République française François Mitterrand qui a en effet, en tout cas le premier, souhaité mettre en exergue cette volonté de créer une Communauté politique européenne, qu’il intitulait par ailleurs non pas Communauté politique européenne mais Confédération politique.
Le but était de faire en sorte que les États de l’UE à 12, certes, mais aussi les pays tiers, dialoguent d’égal à égal sur les défis communs de paix et de sécurité du Vieux Continent. Le président français l’avait annoncé lors de ses vœux aux Françaises et aux Français du 31 décembre 1989.
Le président Mitterrand voyait effectivement cette plateforme politique comme une étape préalable, voire indispensable, aux futurs élargissement de l’Union européenne, notamment vers l’Est puisqu’à cette époque, la Yougoslavie était encore sur pied et l’URSS ne s’était pas encore disloquée. Mitterrand appelait cela la théorie des ensembles : une sorte de puzzle par blocs afin d’unifier le continent.
On peut dire que c’était assez visionnaire conceptuellement parlant. Cependant, cette conception mitterrandienne est en fait petit à petit morte dans l'œuf, entre autres parce que l’idée mitterrandienne intégrait la nouvelle Fédération de Russie, idée assez impensable pour les Scandinaves et les nouveaux pays d’Europe centrale et orientale, là, on peut le comprendre avec le recul de l’histoire, tant il peut paraître curieux de tâcher de convaincre les anciennes républiques soviétiques du bien-fondé de pareille association avec les Russes.
En outre, il n’est pas insensé de penser combien les alliés américains regardaient cette proposition d’un mauvais œil.
Cette volonté du président Mitterrand n’a donc pas été honorée, même si l’UE s’est en fait assez empressée de permettre l’élargissement, jusqu’à 28 en 2013.
Des élargissements de l'UE plus ou moins faciles
Il y a eu des élargissements avec intégration facile, comme celle de la Slovénie en 2004, mais aussi des plus difficiles, comme l'entrée dans l'UE de la Bulgarie et de la Roumanie en 2007, par ailleurs jusqu’à l’apogée en 2016, avec le premier départ de l’Union
européenne, à savoir celui du Royaume-Uni qui en avait décidé ainsi par référendum.
Entre-temps, les 6 pays des Balkans occidentaux non membres de l’UE (à savoir le Kosovo, la Bosnie-Herzégovine, la Serbie, le Monténégro, la Macédoine du Nord et l’Albanie), tous candidats depuis des années, ont procédé à de multiples réformes, certains étant mieux avancés que d’autres.
On le précise, parce qu’avant le 24 février 2022, date de l’invasion unilatérale de l’Ukraine par la Russie, l’idée même d’élargissement était gelée.
On ne le dit peut-être pas assez, mais cet état de fait était aussi dû, entre autres motifs, au fait que le Royaume-Uni, ancien pays moteur aux côtés des Allemands de la question de l’ouverture du marché commun, et donc de l’élargissement de l’UE, n’était tout simplement plus là pour porter la cause.
Il est utile de rappeler combien, du côté français, nous avons beaucoup tergiversé s’agissant des vagues d’élargissement, notamment vis-à-vis des prochaines.
De nouveaux projets d'élargissement de l'UE depuis 2019
On peut dire que le retour du sujet dans le débat a en effet eu lieu à partir de 2019, lors des élections européennes. Alors qu’Emmanuel Macron était attendu sur la question, il a provoqué une relative surprise dans la région des Balkans occidentaux en s’y opposant. À ce moment, la position macroniste consiste surtout à être en phase avec l’opinion publique française, qu’on
peut qualifier de très opposée à de nouvelles dynamiques d’élargissement de l’UE.
L’argument d’alors, qu’on entend ici et là par ailleurs encore aujourd’hui : pourquoi élargir quelque chose qui ne fonctionne déjà pas bien ?
Les députés européens français du groupe Renew élus en 2019 ont donc été nombreux eux-mêmes à porter ce message anti élargissement.
Mais tout a changé à partir du 24 février 2022, lorsque les mondes occidental et européen se sont trouvés bouleversés par la guerre, et même par le retour de la guerre, et que la question de l’élargissement a été renvoyée en pleine face aux chefs d’États et de gouvernement, pour des raisons sans doute suffisamment évidentes, vu la menace russe pesant sur le voisinage proche de l’UE.
À ce moment-là, le Conseil de l’Union européenne est sous présidence française. Cela a son importance, puisque le 9 mai 2022, 2 semaines après le second tour de l’élection présidentielle française et surtout Journée de la fête de l’Europe, Emmanuel Macron a annoncé devant le Parlement européen le retour officiel de l’idée d’une CPE, pour Communauté politique européenne.
La Communauté politique européenne relancée par la France en 2022
Cette idée n’est effectivement pas sortie toute seule du chapeau du président Macron, d’autant que la Commission européenne travaillait déjà sur le sujet, notamment via la Conférence sur l’avenir de l’Europe et les anciens travaux de Jacques Delors sur ce sujet. Toujours est-il que le premier sommet de la CPE a donc eu lieu le 6 octobre 2022, au château de Prague, sans doute en mémoire des précédentes Assises voulues par Mitterrand qu’on a évoqué, et qui ont eu lieu en 1991 – sans toutefois de quelconques résultats.
Bien que le continent européen de 2022 soit complètement bouleversé, un peu comme le monde des années 1990, il paraît clair qu’on s’attache cette fois-ci bien plus fortement à l’idée de construction européenne.
L’enjeu : ne pas laisser les petits États du continent à la merci de la Fédération de Russie, qui essaie par tous les moyens de déstabiliser l’Union européenne, comme cela est par ailleurs aussi valable pour la Chine, ou encore la Turquie, qui jouent toujours sur plusieurs tableaux.
L’idée lancée le 9 mai par le président Macron a en tout cas été très largement suivie, et soutenue, notamment par le chancelier allemand Olaf Scholz, qui est l’un des premiers à parler sans tabou d’une Union à plus de 30 États.
Une assemblée plus vaste que l'UE avec le Royaume-Uni, la Suisse, la Norvège ou l’Islande
Si l’on reprend la logique de Mitterrand, la CPE devrait ainsi aujourd’hui être composée de 46 États. Toutefois 2 d’entre eux, la Russie et la Biélorussie, mènent une guerre brutale en Ukraine, et sont disqualifiés. Après tout, l’objectif de la CPE est précisément de pouvoir réfléchir la paix et la sécurité continentales.
Mais les sujets que la CPE aspire à traiter sont immensément européens sans pour autant avoir de lien avec l’Union européenne. En effet, on parle d’élargissement parce que c’est le sujet européen de toutes les passions, et qu’on pense la CPE pour l’y évoquer aussi. Mais l’idée de la CPE n’est pas de mettre l’UE au
coeur du débat, puisque s’y trouve une grande diversité d’États, parmi lesquels un pays qui a choisi de quitter l’UE, à savoir le Royaume-Uni, mais aussi des pays qui n’en font pas partie et ne le souhaitent par ailleurs pas, comme la Suisse, la Norvège ou l’Islande, parmi d’autres.
L’enjeu est donc véritablement de dire que c’est la géographie européenne qui commande la multiplicité des défis communs, UE ou pas – et donc, plus prosaïquement, qu’on n’attendra pas la seule UE pour y réfléchir.
Britanniques, Norvégiens, Islandais ou encore Suisses ne participent à la CPE que parce qu’elle est le bon échelon, la bonne plateforme pour évoquer paix et sécurité communes sur le continent, en tout cas sans passer par une quelconque alliance contraignante type UE – ou même OTAN. En fait, concrètement et un peu crûment, on peut dire que chacun voit midi à sa porte, et donc trouve un intérêt à ces échanges du cadre de la CPE.
Des pays en guerre au sein de la Communauté politique européenne
Une difficulté alternative, par ailleurs, est celle consistant à vouloir voir travailler ensemble des États en guerre, voire même des États qui se font la guerre, comme l'Azerbaïdjan et l’Arménie, de façon plus prégnante encore depuis que le premier a décidé unilatéralement et brutalement d’envahir la province du Haut-Karabagh, peuplée d’Arméniens. C’est par ailleurs sans doute le motif expliquant que l’Azerbaïdjan ne soit pas représenté au dernier sommet de Grenade, en Espagne, au début du mois d’octobre.
On peut aussi évoquer les grandes tensions en Bosnie-Herzégovine, du fait de l’engouement sécessionniste et brutal de la République serbe de Bosnie, ou encore entre le Kosovo et la Serbie, la seconde refusant de reconnaître le premier et affirmant même qu’il lui appartient, avec une force en présence de l’OTAN qui est confrontée à de graves affrontements de façon régulière à la frontière entre les 2 nations.
Mais c’est aussi justement l’enjeu de cette CPE : garantir la paix, la reconnaissance mutuelle, la sécurité pour tout le monde sur le continent. Vaste projet…mais ô combien impérieux, urgent, nécessaire.
Et puis au-delà, d’autres grandes questions se posent, notamment en matière de sécurité environnementale, en luttant efficacement collectivement contre le changement du climat, mais aussi en matière de sécurité énergétique, bien sûr – et à cet égard l’accord entre Union européenne et Azerbaïdjan pour le gaz n’est pas sans susciter de grandes interrogations depuis l’assaut dans le Haut-Karabagh, ou encore le défi migratoire vraiment très grand, tant les pays tiers de l’Union européenne sont parfois les premiers pays de passages des migrants qui veulent rejoindre les États de l’UE.
Par ailleurs, des personnalités comme le président ukrainien Zelensky sont toujours présentes à ces sommets de la CPE. Le leader de l’Ukraine en guerre a notamment parfaitement compris combien l’enjeu de l’élargissement de l’UE (et de l’OTAN) à l'Ukraine pouvait AUSSI passer par la tribune qu’offre la CPE. C’est aussi le cas de la cheffe d’ État de la Moldavie.
Une tribune pour les pays candidats à l'intégration dans l'UE
Il est également évident que plusieurs des États qu’on a cités dans la région des Balkans s’en servent comme tribune dans le cadre de leurs projets respectifs d’adhésion à l’Union.
S’il fallait conclure notre propos du jour, on pourrait en fait dire que du fait de l’existence de la CPE, le sujet de l’élargissement est clairement revenu au cœur des préoccupations de l’Union européenne. Nous vous en parlions même le mois dernier, puisque c’était le cœur du discours sur l’État de l’Union de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen.
Néanmoins les 27 États membres ont parfaitement conscience que de nouveaux élargissements, dans l’état actuel des choses, sont improbables voire impossibles pour diverses raisons (difficulté de certaines opinions publiques européennes, traités européens actuels difficiles à mettre en application avec plus de 30 États membres, chapitres de négociation pour les futurs États membres toujours en cours d’accomplissement…)
C’est notamment la raison pour laquelle le sujet de la refonte des traités fait surface dans le dialogue européen. En effet, la gouvernance européenne paraît avoir atteint ses limites avant tout élargissement, notamment du fait de la règle de l’unanimité consacrée, pour certains textes du Conseil européen, ce qui ralentit et bloque beaucoup de discussions importantes.
Repenser le fonctionnement de l'Union européenne par cercles
Ainsi des réflexions sont menées, notamment par des chercheurs et autres spécialistes, parmi lesquels d’anciens eurodéputés, afin de repenser le fonctionnement de l’Union européenne et accueillir les États candidats différemment dans le fonctionnement de l’Union.
Et la réflexion du président Macron relative à ce qu’il a appelé l’Europe des cercles (à savoir une Europe de pôles d’États avançant à des rythmes différents selon les sujets) est en fait un début de réponse à ceci, qui rappelle par ailleurs la théorie mitterrandienne des ensembles que tu évoquais en introduction de notre propos.
La question de nouveaux traités va donc forcément revenir sur la table, il faut s’y préparer. D’autant plus avec tout ce qui va arriver ou advient politiquement peu à peu en Europe et au sein de l’UE, comme les élections ici et là en Europe, notamment par exemple en Pologne, où les élections de dimanche dernier ont mis l’opposition démocrate en tête, et où une coalition composée des centristes et de la gauche gouvernera dorénavant — ce qui est un séisme politique pour le paysage politique polonais et européen. Les choses sont donc vraisemblablement amenées à être très intéressantes pour les discussions qui auront encore lieu dès l’année prochaine ans ce cadre de cette CPE qu’on a évoquée aujourd’hui.
Un autre exemple de l’importance de suivre l’évolution des échanges au sein de la CPE est celui de l’élection de la semaine passée, au cours de laquelle la Slovaquie s’est choisie comme leader M. Fico, démagogue déjà au pouvoir par le passé et ami des Russes.