Existe-t-il une Europe de la défense ?

Publié le 19/02/2024
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Chaque mois dans Lem, l'association Breizh Europe Finistère revient sur les actions de l'Union européenne mais aussi la perception que nous en avons. En février 2024 l'association revient sur la Défense européenne, son histoire et ses évolutions. 

Le site internet de Breizh Europe Finistère

Chronique à deux voix réalisée par Maël Cordeau (co-président) et Élia Dovin (adhérente)

Au lendemain de la seconde Guerre Mondiale, deux priorités régnaient dans les esprits : éviter un nouveau conflit entre la France et l’Allemagne et se protéger contre la menace soviétique. Avec l’appui des Etats-Unis notamment en matière de reconstruction, Jean Monnet et Robert Schuman se lancent alors dans le projet de la construction européenne. Le 17 mars 1948, la France, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg signent un traité censé poser les bases d’une Europe unie et d’une défense mutuelle : le Traité de Bruxelles. Mais peu à peu la Guerre-Froide s’installe, d’autres organisations telles que la Communauté européenne du charbon et de l’acier ou l’OTAN voient le jour. Le Traité de Bruxelles se vide de sa substance.
Les débats sur la possibilité d’une défense commune en Europe ne s’arrêtent pas pour autant. En 1952 un nouveau traité instituant une Communauté européenne de défense est signé par six Etats européens. Seulement, de nombreux désaccords autour de ce traité remuent les Etats signataires. Certains le considèrent comme la suite logique d’une solidarité européenne face à la menace que représente l’URSS. D’autres y voient une véritable déchéance de souveraineté pour les Etats membres. De plus, le contexte international change peu à peu. La Guerre Froide semble prendre un tournant moins rude. Le Traité ne sera donc jamais ratifié par l’entièreté des six pays signataires et la Communauté européenne de défense n’entrera jamais en vigueur.

La politique de défense depuis le Traité de Maastricht

En 1992, date de signature du Traité de Maastricht, naît l’Union européenne. Et avec elle la PESC : la politique étrangère de sécurité commune. Ses objectifs sont de préserver la paix, la démocratie, les droits de l’homme et les libertés fondamentales dans le monde. Une première réussite dans l’institution d’une défense européenne 44 ans après le Traité de Bruxelles. Le domaine de la défense au sein de l’Union européenne se développe au fil des années, à travers plusieurs institutions. La PESC est d’abord complétée en 1998 par la Politique étrangère de sécurité et de défense commune (PESD), qui rend possible la mise en commun des moyens militaires. Ce qui a par exemple permis en 2005 une opération militaire en République démocratique du Congo. 

En 2004 naît l’Agence européenne de défense dont le rôle est de favoriser la coopération entre Etats européens en matière d’armement. Puis en 2007 la PESC est encore un fois renforcée par une autre politique : La politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Plus récemment en 2010 est créée l’institution Europol, qui permet aux polices nationales de chaque Etat européen de lutter de concert en matière de stupéfiants, de terrorisme, de criminalité internationale et de pédocriminalité au sein de l’UE. En 2021 l’UE met en place un Fonds européen de la défense permettant aux industriels de ce secteur de coopérer et d’investir davantage dans la recherche et le développement.

La défense de l'UE sur le terrain

Malgré ce que l’on pourrait croire, l'Union européenne mène bel et bien en ce moment de nombreuses opérations civiles et militaires à l’étranger sous mandat de l’ONU. Voyons en quelques exemples.

Il y a d'abord l’EUAM Ukraine. Mise en place depuis 2022, cette opération civile vient en aide aux polices ukrainiennes, afin d’assister le départ des réfugiés ukrainiens et de faciliter l’entrée des aides humanitaires. En avril 2023 par exemple, la mission offrait aux populations ukrainiennes un soutien psychologique et social ainsi que des équipements essentiels afin de combler les pertes dues à la guerre et aux pillages russes. 
Nous pouvons citer également la mission de partenariat militaire entre l’UE et le Niger. Ici l’UE vient soutenir les forces nigériennes dans leur lutte contre les groupes terroristes de la région. Elle aide au dialogue, à la consolidation de la paix et à la formation des forces armées nigériennes. L’opération Althéa en Bosnie-Herzégovine est la plus importante opération militaire de l’UE. Elle a débuté en 2005 sous mandat de l’ONU, elle a pour objectif de créer un environnement sécurisé et stable en Bosnie-Herzégovine, notamment en y formant les forces de l’ordre.
Enfin, en Janvier dernier l’Union européenne s’est engagée à lancer une nouvelle mission en Mer Rouge, au large du Yémen, afin de protéger la marine marchande ciblée par les frappes des Houthis, groupe armé rebelle yéménite. 

Plus de 23 opérations européennes civiles et militaires sont en cours. Elles ont lieu majoritairement en Europe, en Afrique et au Moyen Orient. Il faut cependant faire attention lorsque nous parlons de missions de défense et de sécurité. L’UE ne fait pas la guerre. Ses opérations restent des missions de maintien de la paix, de conseil et d’assistance des forces armées étrangères et de lutte contre le terrorisme.

Des décisions d'interventions militaires européennes complexes

Comme dans un Etat souverain les missions de défenses ne sont pas simples, ni dans leur mise en place, ni dans leur décision.
Alors que les décisions de l’Union européenne sont pour la plupart votées au Parlement, en matière de défense, la procédure est différente. En effet, l’Union européenne n’ayant pas d’armée attitrée et pas de compétence défense propre, ce sont les Etats qui envoient leurs soldats, leurs policiers, et leurs outils militaires lors de missions au nom de l’UE. Légitimement, ce sont donc les gouvernements de chaque pays qui décident des opérations en votant à l’unanimité ou à la majorité qualifiée renforcée (c’est à dire au moins 70% des voix) au sein de Conseil européen. Le Parlement reste bien sûr informé de la décision. De plus, l'Union européenne est dotée depuis 2007 d’un comité d'État-Major. Composé des chefs d’Etat-Major des Etats membres. Il prépare et dirige toutes les missions militaires de l’UE et travaille avec le Service Européen des affaires extérieures et le Haut représentant des affaires étrangères : Josep Borrell. Ils forment ensemble une véritable aide à la décision pour le Conseil européen. Rappelons d'ailleurs qu’en 2019 Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, annonçait vouloir mener une UE géopolitique. Son projet n’est pas encore abouti mais on peut dire que la place de l’UE, des 27 Etats membres, a pris une toute autre dimension. Ce bond en avant en matière de décisions géopolitiques et militaires vient aussi à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Depuis, il y a une accélération des orientations stratégiques en matière de défense. Par exemple, en 2022 l’UE a adopté une nouvelle boussole stratégique, censée orienter les actions et décisions de l’Union en matière de défense d’ici à 2030. Ainsi celle-ci entend investir et agir davantage dans le domaine de la défense ; renforcer la protection de son territoire, de l’espace, jusqu’aux fonds marins; et enfin coopérer davantage avec le organisations extérieures, comme l’OTAN, l’ONU, ou l’ASEAN (Association des nations de
l'Asie du Sud-Est).

Les liens entre UE et Otan

L’Union européenne et l’Otan (Organisation du traité de l'Atlantique Nord) ont toujours été très proches mais n’ont rien à voir. D’ailleurs seulement 22 des 31 Etats membres de l’Otan sont membres de l'UE. l'Otan a été créée en 1949 et réunissait à l’époque 12 États entre l’Europe et l’Amérique du nord. Au début des années 1990 l’UE se retrouve alors à cheval entre sa propre politique de défense et celle de l'Otan. Depuis 2003, ces deux institutions coopèrent. Ce sont les accords Berlin Plus qui fondent cette même année le « Partenariat stratégique pour la gestion de crise ». Leur coopération s’est largement étendue depuis. A titre d’exemple l’Otan et l’UE coopèrent dans la lutte contre les menaces hybrides, le renforcement des capacités de défense, l’industrie de défense et la recherche ou encore les impacts des changements climatiques en termes de sécurité.
Depuis 2003 les deux organisations ont mené plusieurs opérations communes. Notamment en Afghanistan, et en Bosnie-Herzégovine.
Les pays de l’UE et l’Union européenne elle-même restent très dépendants des Etats-Unis, contributeur majoritaire au sein de l’Otan, en matière de défense. Cependant la question qui se pose aujourd’hui est celle de l’autonomie de l’Union européenne face au potentiel abandon des Etats-Unis si l’ancien président Donald Trump parvenait à gagner les suffrages une nouvelle fois en novembre prochain. En effet, celui-ci est hostile à l’Otan et a souvent menacé de quitter l’organisation au cours de son dernier mandat.
Emmanuel Macron à d’ailleurs évoqué cette question lors de sa visite d’Etat en Suède en janvier dernier. Et a lancé un appel en faveur d’une Europe de la défense, non pas indépendante de l’Otan mais plus autonome et souveraine.

L’avenir de la défense européenne

La politique de défense européenne fait face à de nombreux désaccords qui pourraient à l’avenir bloquer sa progression. En effet, certains Etats revendiquent la défense du territoire comme indispensable à leur souveraineté et à leur autonomie stratégique, quand d’autres pensent que la coopération militaire est la seule solution viable face aux enjeux contemporains. De plus, depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, les Etats européens voient l’Otan comme la seule organisation actuellement en mesure d’assurer une protection en Europe. A ce titre, rappelons que le 22 février 2024, cela fera deux ans que la Russie a envahi l’Est de de l'Ukraine, voilant ainsi le droit international. De plus, le gouvernement russe assume vouloir déstabiliser dangereusement les démocraties occidentales et les alliances traditionnelles. Selon les récentes déclarations de Vladimir Poutine, la Russie n’en n’est qu’à ses débuts. L’UE a donc tout intérêt à se renforcer et à rester unie.
Sur le sujet de la défense commune européenne, de nombreuses questions restent à traiter. La France apporte à la défense de l’UE un caractère considérable. En effet, la France est actuellement le seul pays de l’Union européenne à disposer de la capacité de dissuasion nucléaire, la question de mettre en commun cet outil de défense ultime est délicate, presque tabou tant elle peut réveiller de profondes questions de souveraineté nationale.
En plus de l’aspect militaire, on peut évoquer la question du siège de la France au conseil de sécurité de l’ONU. Même si comme pour l’arme nucléaire, la question de la souveraineté nationale peut se poser, un siège commun aux 27 Etats membres pourrait également avoir du sens en ce qui concerne le poids de l’Union européenne dans le monde. Par ailleurs, si une telle place devait être reconsidérée, peut-être que d’autres réajustements seraient nécessaires au sein de ce conseil de sécurité.
Vous l’aurez compris, la défense européenne n'est pas une mince affaire. En cette période de tensions et d’instabilités, l’Union européenne saura-t-elle rester unie et forte comme elle le devrait ?