Ciné-bouffe : Saint-Jacques à l'estragon en Tenue de soirée

Publié le 04/02/2025
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Silence ça touille, la chronique cinéma et cuisine de Christophe Casazza : au menu, trois nouveautés cinéma et en guise de ciné-bouffe, des coquilles Saint-Jacques à l'estragon, dégustées en Tenue de soirée façon Bertrand Blier.

par Christophe Casazza

Au menu des nouveautés cinéma de la semaine, voici 

En entrée, A Real Pain. Pour cette comédie, Jesse Eisenberg, l'acteur, passe derrière la caméra, et le résultat est... comment dire... "pain-fullement" drôle. 
Imaginez : deux cousins américains que tout oppose (Eisenberg lui-même et Kieran Culkin, impeccable en sale gosse) se rendent en Pologne pour honorer la mémoire de leur grand-mère, une survivante de l'Holocauste. Sur place, ils vont devoir affronter leurs différences, et surtout, la réalité de l'Histoire. Le duo fonctionne à merveille, les joutes verbales sont un régal et les dialogues sont percutants. Quant aux situations, elles sont cocasses, et l'humour noir y est omniprésent. Le film aborde des thèmes graves (la mémoire, la famille, l'identité) avec une légèreté et une ironie qui fait mouche. On rit beaucoup, mais on est aussi touché par la sensibilité des personnages et par la justesse du propos de ce road trip qui tourne au vinaigre (ou plutôt à la vodka).

Le plat de résistance sera The Brutalist de Brady Corbet 
László Toth (Adrien Brody, intense comme jamais) est un architecte juif, rescapé des camps, qui débarque aux États-Unis après la guerre. Il rêve de construire des bâtiments qui parlent, qui crient leur modernité, leur brutalité. Mais les rêves d'un homme peuvent vite se transformer en cauchemars. Brady Corbet aime les sujets qui grattent là où ça fait mal, les personnages borderlines, les ambiances glauques. Et The Brutalist ne fait pas exception. Adrien Brody, avec sa gueule cassée et son regard triste, est parfait dans le rôle de l'architecte torturé. Il grimace, il pleure, il crie, il a l’air d’en faire trop, mais on y croit. On a envie de le prendre dans nos bras et de lui dire : "Calme-toi, Adrien, c'est pour de faux !". En tout cas, ce film qui a 10 nominations aux prochains Oscars, ne laisse pas indifférent. Il secoue, il énerve, mais il fait réfléchir, et il peut même beaucoup faire rire, si on accepte de se laisser emporter par sa folie.

En dessert, avec Nightbitch de Marielle Heller, on touche au bizarre, à l’étrange. 
Une mère au foyer (Amy Adams, parfaite en "desperate housewifedog") se sent délaissée, incomprise, qui fait un burn out. Et là, BAM ! Une nuit, elle commence à se transformer en chienne, l’animal. Une femme-chien. Une "nightbitch". Dans ce film, Marielle Heller, explore les thèmes féministes avec un humour grinçant. Après The Diary of a Teenage Girl  et  Can You Ever Forgive Me ?, elle s'attaque à la maternité, et elle le fait avec un culot monstre. Amy Adams, est dans un rôle au poil, elle est tour à tour touchante, hilarante, inquiétante. On croit à sa transformation en chienne, on a envie de la câliner, de la gratter derrière les oreilles. Bref, Nightbitch, c’est une comédie canine qui a du mordant, de l’humour, et qui a le mérite d'être originale.

Ciné-bouffe : Tenue de soirée de Bertrand Blier 

Pour la séquence Ciné-bouffe je vous propose Tenue de soirée de Bertrand Blier. Un hommage à notre cher disparu. 
Imaginez : un couple de bras cassés, Antoine (Michel Blanc, impeccable en antihéros attachant, et en loser magnifique) et Monique (Miou-Miou, pétillante de désespoir). Madame rumine sa frustration, Monsieur fait la gueule. Et là, voilà que débarque Bob (Gérard Depardieu), un cambrioleur philosophe, mâle alpha sensible, qui va les entraîner dans une spirale délirante. Bertrand Blier, c'est un peu le trublion du cinéma français. Il aime les sujets qui fâchent, les dialogues qui claquent, les acteurs qui se lâchent, et surtout les personnages qui sortent des clous. Du coup, Tenue de soirée est un film foutraque, irrévérencieux, joyeusement vulgaire. Mais c'est aussi un film intelligent, sensible, qui parle de nous, de nos amours, de nos vies. Un film qui ne laisse pas indifférent, et c'est déjà pas mal. Mentions spéciales pour la scène de ménage entre Depardieu et Blanc, un moment d'anthologie. Je vous propose de passer à table avec nos deux mâles barrés…

Antoine (Michel Blanc) et Bob (Gérard Depardieu) sont ensemble. Bob est à table devant une assiette de coquilles Saint-Jacques. Antoine fait la vaisselle et la gueule.

Bob (dégustant des coquilles saint-jacques)

Ça sent bon dis donc !

Antoine (on le sent un peu à cran)

ça sent l’estragon.

Bob

Voilà une drôle d’idée de mettre de l’estragon dans les coquilles Saint-Jacques ?

Antoine (bourru)

C’est des coquilles Saint-Jacques à l’estragon !

Bob (il se sert un verre de sancerre blanc)

Pas mauvais d’ailleurs. Et toi, tu manges pas ?

Antoine (un tantinet désagréable)

J’te remercie... j’ai pas faim !

Bob (sermonnant Antoine)

T’as encore bouffé du chocolat toute l’après-midi ?

Antoine (monte dans les tours)

Non, j’ai pas faim c’est tout !

Bob

T’as l’intention de me tirer la tronche pendant combien d’années comme ça ?

 Antoine (tirant la tronche)

J’tire pas la tronche.

Bob
Un beurre ! Rien que de te voir, on a envie d’aller acheter un cercueil.

Antoine (énervé)

À qui la faute ? ça va bientôt faire cinq semaines que tu passes à côté de moi sans me regarder.

Bob

Mais j’te regarde… qu’est-ce que tu racontes ?

Antoine (toujours énervé)

Non, tu m’ignores ! quand tu rentres, tu mets les pieds sous la table… quand tu te couches, tu déplies ton journal...Quand t’éteins, tu t’endors comme une masse... qu’est-ce que je deviens moi dans tout ça, je fais tapisserie ? J’attends la carte vermeille ? Plus jamais, tu m’emmènes au restaurant, plus jamais tu m’emmènes au cinéma, tu me caches, t’as honte de moi. Dehors, c’est c’est le printemps, tu m’as même pas emmené voir les bourgeons !

Bob (narquois)

Mais, ma parole, elle me fait une scène ?

Antoine (encore plus énervé)

C’est pas une scène, c’est quelqu’un qui craque. Je suis à bout Bob. Où tu les passes toutes tes après-midi ? Dans les bras de qui tu les passes ? Pourquoi t’es fatigué quand tu rentres ? J’ai tout abandonné pour toi Bob. La femme de la femme que j’aimais, tous mes principes. Je suis devenu ce que tu voulais. Une fiotte... une vraie gonzesse. Bientôt, je vais avoir ma culotte de cheval et toi, tu me traites comme la dernière des dernières. Regarde-moi quand j’te parle !

Bob se retourne sur sa chaise et fais la gueule

Recette des coquilles Saint-Jacques à l'estragon

Lavez 5 brins d'estragon, séchez délicatement avec un essuie-tout, séparez les feuilles de la tige. Réserver les 8 pointes pour la décoration.

Ouvrez 8 coquilles et enlevez leur barbe sur le pourtour afin d'éliminer le maximum de sable.

Avec un couteau bien aiguisé, prélevez délicatement les noix avec leur corail. Lavez-les bien.

À feu vif, dans une poêle anti-adhésive, faites revenir 2 minutes de chaque côté les coquilles. Assaisonnez de fleur de sel, de poivre du moulin, d’une pincée de piment d’Espelette. Parsemez d'estragon et ajoutez 2 cuillères à soupe de crème fraîche épaisse. Mélange-bien et servez aussitôt avec un peu de riz.