La communication numérique de l'État français sous l'angle du droit

Publié le 06/02/2024
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Doctorant au Lab-Lex de l'Université de Bretagne occidentale, Martin Uguen consacre sa thèse de droit public à la communication numérique de l'État français. Il nous donne un premier aperçu de ce sujet encore peu exploré par la science juridique.

Le site internet du Lab-Lex, laboratoire de recherche en droit de l'UBO


Le numérique a surgi si rapidement dans nos vies et dans l’ensemble de nos activités que la loi a bien du mal à suivre… pourtant les juges sont confrontés quotidiennement aux impacts numériques sur les autres pans du droit. S’il n’existe pas encore de Code numérique comme il existe un Code rural ou un Code de l’environnement, la jurisprudence s’étoffe et donne matière à recherche. Martin Uguen a donc orienté sa thèse de droit public au Lab-Lex vers la communication numérique de l’État français. 

On peut parler de dématérialisation et d’informatisation dans l’administration dès les années 1970 ; mais la production et l’échange de fichiers informatiques restaient internes.  C’est le développement des réseaux qui a rendu véritablement publique l’action de l’État. On a d’abord vu apparaître sur le minitel un répertoire des lois et réglementations, des annuaires des services… puis Internet prend de l’ampleur et c’est à la fin des années 1990 que le gouvernement Jospin lance le Programme d’action pour la société de l’information : les premiers sites internet officiels voient le jour, comme Légifrance et Servicepublic.fr.

L’essor des réseaux sociaux numériques fait entrer l’État dans l’ère du web 2.0 qui se traduit par des interactions entre administration et administrés, via l’usage de Facebook et Twitter à la fin des années 2010. Aujourd’hui, l’État et ses services utilisent tous les réseaux sociaux, sans forcément adapter la forme des messages aux spécificités de chaque réseau. 

Démocratie et communication numérique étatique

Quoi qu’il en soit, l’objectif affirmé de cette communication est bien de rendre l’action de l’État plus transparente et accessible pour légitimer son autorité (et justifier les impôts que paient les contribuables). Au-delà, pour les personnes qui incarnent l’État et communiquent (membres du gouvernement, hauts fonctionnaires) il s’agit aussi de se rapprocher de la population, de pallier la défiance vis-à-vis des élites. 

Difficile de savoir s’il existe une stratégie de communication numérique officielle. Toujours est-il que l’omniprésence des membres du gouvernement sur les réseaux laisse penser qu’il existe bien des directives. 

Le droit public traitant de la numérisation de l’État a commencé véritablement avec la Loi pour une république numérique (2016) qui encadre les décisions prises avec l’aide d’algorithmes : les administrations qui utilisent un algorithme pour, par exemple, mener des contrôles fiscaux ou sociaux doivent justifier leurs décisions et montrer comment elles évitent les biais liés aux statistiques et la discrimination créée par les algorithmes ; c’est bien la conscience humaine qui doit primer dans l’arbitrage. 

Nouveaux débats liés à la dimension numérique de la communication de l’État

Martin Uguen s’intéresse donc au contenu et informations de la communication de l’État central et de ses administrations mais aussi aux moyens et méthodes utilisés et enfin aux conséquences pour les citoyens. Des conséquences qui font surgir de nouveaux débats : par exemple quand l’Office français pour l’intégration et l’immigration a récemment bloqué certains représentants d’association de défense des immigrés sur X (ex Twitter), le juge a estimé qu’il n’avait pas à le faire car les réactions des personnes ou des associations ne constituaient pas un problème de sécurité ou d’ordre public. 

Le problème c’est que la communication de l’État n’a jamais fait l’objet d’une étude systémique même en dehors de sa dimension numérique ; elle a longtemps été considérée comme accessoire. Le chercheur doit donc déjà identifier son utilité et son rôle et ensuite apprécier les changements imputés par le numérique en raisonnant par analogie. Les décisions de justice prises du temps où régnaient seulement la radio et la télévision sont elles transposables au monde d’internet et des réseaux sociaux ? 

Le numérique et la question de la transparence 

L'essor de l'UE et du Conseil de l'Europe renforce l'exigence d'une démocratie ouverte et transparente, l'ouverture des États vers les citoyens. Tout est à disposition sur Légifrance mais les textes sont peu compréhensibles, même pour des spécialistes en droit. La communication d’État vise donc à vulgariser. L’ennui c’est que cette vulgarisation peut « déraper ». Pendant la pandémie de Covid, le ministre de l’Intérieur a ainsi affirmé que les personnes ne pouvaient utiliser leur vélo pendant le confinement (même pour aller au travail), ce qui n’était absolument pas inscrit dans la loi. Pourtant, les forces de l’ordre ont verbalisé des administrés parce qu’elles avaient suivi le propos du ministre… Une association de cyclistes a donc saisi le juge. 
L’accès aux données liées aux activités des institutions est un droit, pour des raisons démocratiques, mais le volume même de ces données rend la transparence paradoxalement très opaque.

D’autres problèmes liés au numérique et au droit public feront l’objet d’autres émissions : l’accès aux droits (fracture numérique) ou encore la dimension privée des réseaux sociaux utilisés par l’État.