Benoît Quinquis démonte les idées reçues sur l'histoire de Brest

Publié le 28/09/2023
Il n'y a pas d'image pour ce contenu

Historien de Brest, Benoît Quinquis revient sur quelques-une des "légendes" du passé de la cité du Ponant, et il les confronte aux faits. 

Une émission trimestrielle proposée par Benoît Quinquis, philosophe et historien mais aussi dessinateur caricaturiste sous le pseudonyme de Blequin. 

"L’expression « Tonnerre de Brest » vient du coup de canon que l’on tirait pour signaler l’évasion d’un bagnard."

Le canon a peut-être entretenu l'expression mais le journaliste et historien Bruno Calvès a mis le doigt sur un autre événement qui remonte au 15 avril 1716 au cours duquel un orage spectaculaire avait frappé 24 clochers dont celui de Gouesnou, trois sonneurs furent tués et l'événement fut rapporté par François Bourreau-Deslandes commissaire de la marine à Brest à l'Académie royale des sciences.  

"Le bagne de Brest était destiné à accueillir les plus dangereux criminels."

En fait le bagne ouvert en 1749 était une bâtisse de détention plutôt "moderne" comparativement aux autres prisons de la ville : latrines, eau courante, accueil des invalides, égouts... Les bagnards pouvaient exercer toutes sortes de travaux forcés y compris donner des leçons de musique ce qui laisse supposer qu'ils n'étaient pas dangereux.  On ne recensait alors que 6% de meurtriers et incendiaires sur les 988 bagnards arrivés à Brest à l'ouverture. Beaucoup étaient en fait enfermés pour de menus larcins. 

"La prison de Pontaniou est un vestige du bagne et a été bâtie sur le site d’un ancien couvent."

Le bagne existait déjà quand la prison de Pontaniou a été construite en 1811 ; cette dernière accueillait des justiciables militaires (alors que le bagne était pour les civils). En outre, une troisième prison les côtoyait au bord de la Penfeld : le Refuge royal destiné aux femmes "de mauvaise vie" qui elles vivaient sous la férule de religieuses, d'où sans doute la confusion avec un couvent... Pontaniou s'est élevée sur le site d'une ancienne fonderie. 

"Le Comœdia fut le premier cinéma brestois."

Quand ce théâtre a été construit en 1949, le cinéma était déjà un loisir pratiqué à Brest. Ce sont les forains qui ont organisé les premières projections dès 1896. La première salle a été construite en 1907 dans le Casino brestois, un café concert de la rue de Siam. 

"Les ambassadeurs de Siam ont monté à dos d’éléphant la rue qui allait prendre le nom de leur pays."
Il y a bien eu un cortège d'ambassadeurs de l'ancien royaume de Siam, la Thaïlande, avec forces musique, danses, tissus, dorures et autres merveilles en 1686. Mais point d'éléphants car le roi de Siam avait déjà tenté d'envoyer ces animaux au roi de France et les navires avaient sombré ! En outre, la rue de Siam n'a été tracée qu'en 1694.

"Le jazz arriva en France par Brest où James Reese Europe joua une version « swinguée » de la Marseillaise."

Certes, le célèbre jazzman est bien passé par Brest au sein des troupes américaines envoyées pour combattre en 1917 (800 000 hommes). On n'a cependant aucune preuve matérielle que le musicien a bien joué sur les quais  pendant ses trois mois de résidence brestoise, et encore moins qu'il ait interprété la Marseillaise.

"Quand on est devant le monument américain, sur le cours Dajot, on se trouve en territoire américain."

Le gouvernement américain paie l'entretien du monument (érigé après la Première guerre mondiale et reconstruit après la Seconde puisqu'il a été détruit par les bombardements britanniques) mais le terrain sur lequel il se dresse est bel et bien français et simplement prêté. 

"Pendant l’occupation, une synagogue de Brest a été transformée en maison close."

Même le journal Libération a contribué à propager ce mythe en légendant une photo de la maison close du 3 rue Guyot, ornée d'une étoile à 6 branches, affirmant qu'il s'agissait d'une ancienne synagogue. Or en 1940 quand l'occupation commence la ville ne compte que 19 juifs. En 1861, il  y avait bien une synagogue dans la Grande rue mais elle a disparu ensuite et l'emplacement était différent. Le 3 rue Guyot était déjà une maison de tolérance depuis 1897. L'étoile à 6 branches y a été apposée lors d'une rénovation en 1934 mais on ignore pourquoi. 

"Les soldats allemands présents à Brest pendant la bataille de 1944 étaient issus de troupes d’élite fanatisées."

L'état-major allemand s'est acharné sur Brest à la fin de la Seconde guerre mondiale (2 mois de bombardements) alors que les Alliés avaient déjà atteint Plougastel-Daoulas. Cependant, la combattivité des soldats allemands n'a pas toujours été si évidente. Le général Ramke, supposé fanatique, a tout de même fui à la pointe des Espagnols avant de se rendre plutôt que de périr au combat. 

 "Le béton a été suremployé pour reconstruire Brest."

Le béton, on l'employait déjà bien avant la Seconde guerre mondiale : dès 1899, Albert Louppe l'a utilisé pour construire des moulins . Il a aussi été utilisé pour le fameux pont ou encore la gare et l'hôpital Morvan. Comme on manquait de tout après la Seconde guerre mondiale, le béton a été employé avec parcimonie dans la reconstruction de Brest ; l'architecte Jean-Baptiste Maton ne s'y intéressait pas beaucoup. 25 000 ouvriers logeaient encore dans des baraques en bois jusqu'en 1957. C'est dans les années 1960-70 que l'usage du béton est devenu vraiment intensif. 

"Il y a une cathédrale à Brest."

L'église Saint-Louis avec ses 85 mètres de long, 27 de large et 24,5 de haut a remplacé après la Libération une précédente église dont la construction avait pris 159 ans (commencée sous Louis XIV) qui avait été incendiée par les Allemands. L'église Saint-Louis est la plus grande église reconstruite en France mais ce n'est pas une cathédrale malgré ses dimensions. L'évêché reste bel et bien implanté dans la rivale Quimper.