Historade, une histoire écologique de la rade de Brest

Publié le 21/02/2024
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Soutenu par la Zone Atelier Brest-Iroise (CNRS), Lucas Bossebœuf (UBO) mène depuis 2022 Historade, un projet de recherche sur l'histoire environnementale de la rade de Brest. Il revient sur les résultats de son travail obtenus avec l'aide de la population ou d'institutions locales. 

Le site internet du projet Historade

Réécoutez notre précédente émission sur Historade

Lucas Bossebœuf a lancé son projet de recherche en 2022 en faisant d'emblée appel à la population locale pour recueillir des documents ou des témoignages sur le passé de la rade de Brest. Il a ainsi reçu les recherches personnelles d'historiens amateurs, une collection de cartes postales anciennes (qui a révélé un stockage d'acide sulfurique à même les quais), les photos personnelles d'une fille de pêcheur, les archives du musée de la fraise et du patrimoine de Plougastel-Daoulas.

Avant de soutenir sa thèse fin 2024, il revient sur les données qu'il a recueillies sur l'histoire environnementale de la rade de Brest.

L'historien s'est penché sur les ressources de la rade, leur exploitation depuis le 18e siècle mais aussi le contexte écologique dans lequel ces ressources ont été exploitées. Les principales étaient l'huître plate, le goémon, et la sardine qui avait franchi le goulet et était présente massivement dans la rade au 19e siècle ; un peu plus tard le maërl (corail d'algue calcaire) a été prélevé pour servir d'amendement agricole jusqu'à l'interdiction de cette pratique en 2013. La coquille Saint-Jacques est apparue très massivement (pour une raison qu'on ignore) à la fin du 19e siècle et elle a aussi été largement pêchée. 

La surpêche des huîtres plates et des coquilles Saint-Jacques

C'est bien un prélèvement excessif qui, selon le chercheur, explique l'effondrement de la ressource en coquillages. Pour l'huître plate, les chutes de stocks étaient déjà sans doute en cours avant 1840 mais on ne dispose pas des données de débarquement des pêches avant cette époque. On sait seulement que dans d'autres secteurs de Bretagne, les quantités d'huitres plates étaient déjà en baisse au 18e et tout au long du 19e siècle. Pour la rade de Brest, on est passé de 1900 tonnes débarquées en 1853 à 21 tonnes en 2013.  Idem pour les coquilles Saint-Jacques dont les débarquements atteignaient 2600 t en 1952/53 alors qu'on est à moins de 100 tonnes 20 ans plus tard. Aujourd'hui la pêche à la coquille est presque close en rade de Brest. La motorisation des bateaux de pêche aggrave la surpêche car elle permet de prélever quelle que soit la météo, ne laissant aucun répit aux coquillages, en particulier la Saint-Jacques, plus fragile en période froide. 

Pour le maërl, les archives historiques ne permettent pas de mesurer un appauvrissement du stock, des recherches continuent pour tenter de connaître l'état réel du maërl de la rade avant les dragages du début du 20e siècle. Quant à la sardine, elle ne franchit plus le goulet et n'est donc plus présente en rade de Brest. 

Des actions pour préserver la ressource : fortes mais trop tardives

Les autorités maritimes ont bel et bien agi quand les premières alertes sur l'état de la ressource ont été lancées par certains pêcheurs. Les bans ont été fermés et les contrôles ont été actifs. La fraude a cependant continué. Un rapport de gendarmerie maritime en 1965 fait état d'une pêche sauvage et nocturne menée par 120 pêcheurs locaux  sur le banc de Saint-Jean dans l'Elorn, mais ils ne sont que 5 gendarmes et les pêcheurs leur balancent des cailloux...  
Au milieu du 19e siècle, des bilans, des rapports sur les huîtres plates commencent à sortir ; car les pêcheurs dénoncent les effets des dragages de maërl sur les bans. Un conflit d'usage terre/mer éclate alors. Il est malheureusement trop tard pour l'huitre plate.

Des pollutions industrielles qui n'arrangent rien 

Lucas Bossebœuf a également étudié les pollutions de la rade. Il a notamment repéré la pollution constatée à Trégarvan à plusieurs reprises au 19e siècle et même jusqu'en 1930. Les huitres plates ont une couleur marron et s'effritent. Elles ont en fait été victimes vraisemblablement des mines d'argent de Poullaouen et Le Huelgat (apogée au 18e siècle). Le plomb et l'argent lessivé par les pluies termine dans les rivières du bassin de l'Aulne et au final en rade de Brest. 

Des usines de la rade ont aussi contribué aux pollutions, notamment l'usine d'engrais chimiques Dior au bord de l'Elorn. Face à un grand nombre de poissons morts dans des eaux jaunâtres et très acides aux alentours de l'usine conduisent à plusieurs enquêtes et un procès pour pollution intentionnelle mais il débouche sur un non-lieu en 1937. Des tanneries, d'autres usines proches du port du Moulin-Blanc auraient pu aussi contribuer aux pollutions de la rade. Une autre chercheuse, géologue, Clara Valero étudie actuellement les sédiments de la rade (par carottage) pour retracer aussi l'histoire de ces pollutions.