Joséphine, les élections et les femmes

Publié le 11/03/2025
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Dans cette deuxième chronique, Les petits racontages de l'égalité, Maryne Bruneau nous narre l'histoire de Joséphine Pencalet pour évoquer la place des femmes dans la démocratie.

Par Maryne Bruneau

Le week-end dernier, c’était le 8 mars, ou plutôt la journée internationale des droits des femmes, aussi, je me suis dit tiens, et si on se racontait une histoire en lien avec le pouvoir, en l’occurrence, le pouvoir politique. 

Ça tient à deux éléments, le premier, c'est que les municipales, c’est dans un an et quand on regarde les chiffres de la parité en politique, on peut s’inquiéter — ben oui parce que dans tous les scrutins où la parité n’est pas obligatoire, c’est-à-dire 50% de femmes, 50% d’hommes, il y a en moyenne 2 femmes pour 10 postes. Un texte sera d’ailleurs étudié bientôt à l’assemblée nationale pour rendre les municipales plus égalitaires, notamment dans les villes de moins de 1000 habitants. Alors c’est un vrai sujet de — le mot est difficile en ces temps troublés — démocratie ! 

D’ailleurs, vous savez depuis quand les femmes ont le droit de vote et sont elles-mêmes éligibles ? En 1944 !  Et c’est là mon second point : si j’ai envie de vous parler de politique ce midi, c’est que cette année est particulière pour nous en Bretagne, avec le centenaire de l’élection de Joséphine Pencalet au conseil municipal de Douarnenez.

Sauf que le droit d’être élue, c'était en 1944, alors comment Joséphine Pencalet a pu être élue dès 1925 ? C’est là que réside toute l’affaire que je m’en vais vous narrer pour parler un peu d’autre chose que de Trump, etc. 

Joséphine Pencalet, au départ, c’est une ouvrière, née à Douarnenez en sud Finistère. Sa vie la mène en région parisienne et, au décès de son mari, elle revient à Douarn en 1923. Le temps de trouver un poste à la conserverie Amieux, une grève éclate en novembre 1924. C’est la révolte des sardinières, la grève des Penn Sardin - comprenez les têtes de sardine. 

C’est comme ça qu’on appelait les ouvrières dans les usines de conservation de sardines. Car les métiers étaient très genrés à l’époque : les hommes à la mer, les femmes ouvrières. Bon ça n’a beaucoup changé en fait. 

Cette grève, portée par les femmes, va subir toutes les violences et nourrir l’image de Douarnenez. Joséphine n’est pas la plus charismatique, la plus visible, mais elle est hyper engagée et sera remarquée. Alors, sans formation préalable - mais c’est encore le cas aujourd’hui n’est-ce pas - on lui propose de l’intégrer à une liste pour les municipales. Et ceci permet à une dizaine de femmes d’être élues en France, dont notre chère Joséphine.

Sauf que c’est illégal : Joséphine est élue en mai et dès novembre 1925 son élection est invalidée par le Conseil d’État. Elle retournera à son quotidien et surtout, elle s’éloignera totalement de la politique. 

Quelles leçons peut-on tirer de cette histoire ?

D’abord, que les femmes ont toujours été présentes dans toutes les luttes sociales, et c’est important de le rappeler parce qu’en dehors de la Marianne, toujours représentée à moitié à poil d’ailleurs et dont on croit à tort qu’elle représente La Révolution française, dans le tableau La liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix alors qu’il s’agit du soulèvement parisien des trois glorieuses, eh bien, on voit peu les femmes. On peut même dire qu’elles sont plutôt invisibilisées par l’histoire. En ce qui concerne la révolte des Penn Sardin, aucune excuse, c’est une grève de femmes d’ailleurs peu soutenir par les hommes au départ. 

Et puis, il y a une sorte d’anachronisme concernant Joséphine Pencalet. Beaucoup ont tenté de l'ériger en héroïne féministe. Et c’est là qu’interviennent les travaux très intéressant de La journaliste Anne Gouérou et de Fanny Brugnon, historienne, chercheuse et maîtresse de conférences l’Université Rennes 2.

De féminisme, Joséphine Pencalet ne s’en réclamait pas. Ça n’était pas son sujet. En ça, la grève des Penn Sardin est une grève de femmes et pas une grève de féministes.

Mais faut-il se revendiquer d’être féministe pour pratiquer un engagement féministe ? La grève des Penn Sardin et le parcours engagé de Joséphine Pencalet répondent à cette question : non. Ce qui est féministe, c’est la lutte pour les droits des femmes et pour l’égalité, bref pour la justice sociale. Or, c’est exactement ce qu’ont pratiqué les Penn Sardin en revendiquant un salaire plus juste et en se faisant entendre dans leurs réalités de femmes. 

Si ces sujets vous intéressent, voici quelques idées de sorties et conseils lecture : 

  • On est en plein milieu du Festival Sous les paupières des femmes qui se passe dans toute la communauté d’agglomération de Quimperlé. Au sujet de la place des femmes en politique, toujours en se projetant vers 2026 et même, 2027, j’y donnerai une conférence ce jeudi. Toutes les infos sur le festival Sous les paupières des femmes et ses nombreux événements, sont à retrouver sur le site quimperle.bzh
  • Pour ce qui est de l’histoire de Joséphine Pencalet, des Penn Sardin et de leur lutte, il y a ces livres :

Fanny Bugnon, L’Élection interdite : Itinéraire de Joséphine Pencalet, ouvrière bretonne

Anne Crignon, Une belle grève de femmes: Les Penn sardin Douarnenez, 1924

Et bien sûr le documentaire d'Anne Gouérou qui s’appelle « Joséphine Pencalet, une pionnière » qu’on peut retrouver sur le site BED.BZH

Je terminerai en vous racontant, parce que l’actualité du monde nous percute forcément toutes et tous, ce que m’a dit ma grand-mère un jour : « Quand je suis née en 1929, j’étais une citoyenne de 3e zone parce que je n’avais ni le droit de voter, ni celui de contrôler mon corps. Quand ta mère est née en 1955, elle était une citoyenne de seconde zone parce qu’elle pouvait voter, mais pas contrôler son corps. Toi, tu es une citoyenne de 1ʳᵉ catégorie et c’est parce que tout ça est toujours très fragile qu’il faudra que tu ne lâches jamais rien ».