Marie la ouessantine et la sororité
Publié le 25/02/2025
Dans cette première chronique, Les petits racontages de l'égalité, Maryne Bruneau nous présente sa relation de sororité avec Marie, une Ouessantine qui l'a prise sous son aile et l'a portée dans l'adversité.
Par Maryne Bruneau
Je m’appelle Maryne, avec un Y grec, Bruneau, sans Y grec, voilà, enchantée et ravie d’être parmi vous ! La marotte que je vais partager mensuellement avec vous, c’est celle de l’égalité parce qu’au quotidien, c’est ça mon métier : accompagner la société vers plus d’égalité
dans cette marotte, j’ai envie de vous parler de belles idées, de beaux concepts et de belles initiatives autour de nous, vous et moi, à ce sujet. Et puis j’ai à cœur d’explorer aussi ce qu’on pourrait appeler en français peu académique « le racontage d’histoire » car sur cette Transistoc’h, je sais qu’on peut « dire », et dire, c’est exister et faire exister.
Quand je dis qu’on va essayer, ensemble, c’est que, pour qu’une chronique soit utile, il faut quelques ingrédients, avec, en premier, une oratrice, bon ben ça, ce sera moi ; un auditorat -ça, ce sera votre rôle et quelques camarades de qualité : mes camarades dans le studio.
Chaque rôle est important et j’ai bien saisi que m’adresser à vous, ce n’est pas comme parler seule dans mon salon ou chanter sous ma douche. D’ailleurs, promis ici, je ne chanterai pas, par respect pour vos oreilles, c’est vous dire, en plus, je suis bien élevée !
Puisque mars arrive à grands pas et que c’est le mois des droits des femmes (car le reste de l’année est dévolu aux autres), j’avais envie de parler de sororité.
Vous connaissez ce mot Sororité ?
Eh bien plutôt que de me la jouer "académicienne" alors qu'il s'agit de vieux messieurs très prétentieux et que je ne dispose donc d’aucun de ces trois attributs, je vais vous raconter une histoire du coin comme on dit.
Il y a presque dix ans déjà, après une peine terrible, du genre qui vous laisse jambes coupées, cœur cramé, cerveau embrumé, je suis partie à Ouessant pour écrire et puis bon, pour chialer. Dans mon réseau, il y avait une femme de mon âge, originaire de l’ile qui me dit « ah, mais tu seras logée juste à côté de chez ma grand-mère, je la préviens, vous vous croiserez ».
Et en fait de se croiser, cette femme est venue me faire entendre chaque jour son rire tonitruant, son accent ouessantin. Parce que la Marie, comme elle me l’a dit le premier jour, les choses du cœur ça la connaissait. Plus précisément, elle m’a dit « ah ben tu sais ici, avec les hommes en mer en tout le temps, nous les femmes, on a géré notre cœur toutes seules. T’as déjà gueulé dans l’eau, je peux te dire, ça calme ! »
Entendre cette femme âgée, qui trainait un peu la jambe, tenir de tels propos, et venir me poser chaque jour deux questions répétitives et sacrément prosaïques : t’as mangé ? t’as dormi ? avant de dire à chaque fois « y a qu’ça qui soigne », comme si j’avais la grippe ou un rhume de cerveau, c’était sublime.
Au bout des deux mois, après avoir bien gueulé dans les vagues, mangé et dormi, je suis sortie de mon trou et je suis allée chez la Marie. Elle m’a accueillie avec un gâteau et du café — enfin, un seau de café — et obligation de tout finir. Elle était contente la Marie, elle me l’a dit avant d’engueuler son « gabarit » — entendez, son mari, retraité de la marine marchande, dur de la feuille et têtu comme une mule — bref, il avait au moins deux points communs avec sa femme.
Quand je suis rentrée chez moi, Marie je l’ai appelée au moins une fois par mois et un jour, je lui ai demandé : vous avez fait tout ça parce que j’étais une amie de votre petite-fille, un peu comme une grand-mère protectrice ? et là, je l’ai fâchée. Elle m’a dit « ben dis que j’suis vieille dis ! ». Cette répétition m’a montré qu’à dire, y en avait des choses ! Alors, j'ai voulu en savoir plus.
Marie ne s’est pas positionnée comme une grand-mère, mais comme une "sorore". Une femme, avec laquelle tu n’es pas amie ou en filiation, et avec qui il y a, quels que soient vos profils, un lien. Ce lien, s’appelle être des femmes dans la société actuelle avec tout ce que ça comporte
Après cette sororité de combat, Marie aurait pu rester tranquille dans son île à houspiller son gabarit dont elle ne savait que faire depuis qu’il ne partait plus en mer 10 mois de l’année. J’aurais pu retourner chez moi, reprendre ma vie, le cœur soigné.
Mais après la sororité de combat reste le lien indéfectible entre les femmes, que Marie, pragmatique, a résumé ainsi : "les femmes, faut qu’on se serre les coudes. Eux — en parlant des hommes — ils partent, mais nous, on est toujours là. Si on vit, c’est grâce aux femmes, nos mains sont rêches après le travail de la terre, mais t’inquiète qu’on a toujours du cœur pour la voisine ".
Les mains de la Marie, qui attrapaient maladroitement la mienne par-dessus la nappe quand on se racontait des trucs de femmes, ces mains me manquent, de même que nos appels mensuels et ses soupières de café.
Mais la sororité est un trésor qu’on peut mobiliser à tout instant et si, aujourd’hui, pendant quelques secondes, vous avez visualisé son clin d’œil bleu perçant, ses mains abimées, ses cheveux blancs secoués par le vent insulaire, alors Marie et sa sororité continuent à exister.
Pour perpétuer cette image, et celles des femmes qui disparaissent petit à petit à Ouessant, il reste des possibles :
D’abord, l’exposition « MODES & CLICHÉS – OUESSANT, CHEVEUX AU VENT ! » au musée départemental breton à Quimper. C’est une courte exposition, il n’y a pas trop de salles et d’éléments, mais c’est plutôt immersif. Vous y repenserez peut-être à la Marie, toute jeunette, avec sa coiffe sobre dégageant le visage et tenant justement les cheveux pour supporter le vent qui ne trouve rien pour l’arrêter sur l’ile puisqu’il n’y a pas d’arbres.
Ensuite, si vous allez sur Ouessant en saison, il y a Barnabé file doux, la boutique de Gwenaël Baamara, une îlienne qui crée, tisse, imagine, conçoit, de sacrés trésors. Si vous y passez, dites-lui que c’est de ma part, elle vous dira « Ah la Maryne, c’est sacrée celle-là ! » et je pourrais en dire autant d’elle tant son parcours est riche, sa vie incroyable, sa gentillesse absolue. La sororité, c’est une affaire de femmes, de femmes au pluriel.
Joli mois de mars à vous !