Retisser les liens terre-mer autour de la rade de Brest
Publié le 08/04/2024La rade de Brest fait l'objet d'un contrat pour restaurer la qualité de ses eaux et de ses milieux naturels. Un comité scientifique oriente les décisions. Pour son président Yves-Marie Paulet, l'amélioration passera par la restauration du lien entre les mondes de la terre et de la mer.
Le contrat territorial de la rade de Brest et des bassins versants de l’Aulne et de l’Élorn - TerraRade - a pour objectif de restaurer les milieux naturels de la rade de Brest. Il est co-piloté par Brest Métropole, le Syndicat de bassin versant de l’Élorn (SBE), et l’Établissement public d’aménagement et de gestion du bassin versant de l’Aulne (Epaga) et il est doté d'un conseil de 24 scientifiques qui apportent leur expertise pour aider aux décisions .
Son président, Yves-Marie Paulet est écologue et biologiste marin au Lemar et il a notamment beaucoup travaillé sur la coquille Saint-Jacques. Il a découvert au cours de ses recherches que la santé du coquillage - pourtant strictement marin - était directement liée aux activités terrestres humaines des deux bassins versants qui alimentent la rade.
De fait, depuis les années 2000, les différentes disciplines scientifiques ont établi que 80 % des problèmes de l'océan étaient d'origine terrestre, à l'image des pollutions plastiques.
La rade de Brest a perdu sa biodiversité et sa productivité
La rade de Brest est un écosystème très riche en biodiversité et productif. Ou plutôt était. L'histoire nous apprend que plusieurs espèces animales, végétales ou minérales étaient foisonnantes et largement exploitées, enrichies par les deux fleuves côtiers qui s'y déversent. Coquille, pétoncles noirs, maërl, goémon rouge, huitre plates... ont fait la richesse de la rade. Pourtant, dès le 19e siècle, des effondrements sont identifiés : d'abord l'huitre plate, puis la coquille etc. On tente aujourd'hui de pallier ces effondrements par l'élevage (naissains de coquilles au Tinduff) ; l'humain se met à "cultiver la mer" comme il l'a fait avec la terre. Pour autant, même cette stratégie ne saurait perdurer sans rétablissement de la qualité de l'eau.
La fin du paysan pêcheur et l'irruption de la chimie dans l'agriculture
Les productions marines étaient essentielles pour l'agriculture : les paysans amendaient leurs terres avec du goémon rouge (très abondant), le maërl (algue calcaire) et le sable coquiller (pas en rade mais au Minou). Ces prélèvements se sont arrêtés (pour le maërl, non renouvelable, c'est interdit) après la Seconde guerre mondiale car ce sont des engrais de synthèse (nés de l'industrie chimique de guerre) qui se sont substitués. Pour les coquilles, c'est la surexploitation qui a mis fin (ou presque) à la ressource. Ensuite, l'océan et ses activités ont pâti d'autres pollutions également d'origine terrestre (pesticides, nitrates, etc.) La rupture entre la terre et la mer est alors consommée. L'écart se creuse et au passage la figure du paysan-pêcheur disparait.
Une approche plus sensible et affective de la rade et des fleuves côtiers
Les données scientifiques sont désormais claires ; les pollutions et leurs sources bien identifiées. Pour autant, les solutions tardent à émerger et la rade de Brest reste dégradée. D'où l'idée d'Yves-Marie Paulet et de ses collègues d'aborder la question autrement pour refaire communauté autour de la rade et des rivières. D'autant plus que la science a aussi démontré qu'il existe un lien direct entre la qualité de l'environnement et le moral de la population. D'où l'importance aussi de la présence des sciences humaines (anthropologie, sociologie, histoire) dans le comité scientifique de TerraRade. D'autres projets sont sur les rails, qui impliqueront les artistes pour une approche sensible de notre territoire maritime. Arts et sciences réunis pourront - souhaitons-le - retisser les liens terre-mer autour de la rade, même aux sources des bassins versants.
Pour aller plus loin
Réécoutez notre émission sur Historade, l'histoire écologique de la rade de Brest