Depuis le Finistère, Véronique Le Roux reste attachée à la Nouvelle-Calédonie
Publié le 24/06/2024Véronique Le Roux a été journaliste en Nouvelle-Calédonie à la fin des années 1980. Elle garde des liens forts avec le "caillou" et depuis le Finistère espère tisser un réseau avec celle et ceux qui sont dans son cas.
Véronique Le Roux était journaliste pour RFO à la fin des années 1980 alors que la Nouvelle-Calédonie vivait une étape importante de son histoire ; c'est en 1988, qu'elle avait réalisé une série d’émissions, sous l’intitulé générique « Calédoscope », sur des sujets aussi variés que les origines du peuplement de l'île, la culture du café ou l'exploitation forestière. Rentrée en Finistère depuis de nombreuses années, elle continue à garder un œil sur le "caillou" et se désole de son actualité douloureuse en ce printemps 2024.
La dernière colonie de peuplement toujours sous administration française
Pour comprendre la crise actuelle, il faut retracer l'histoire véritablement coloniale de cette île si éloignée de la France et pourtant investie progressivement et rapidement par la métropole. Parce qu’il s’agit de la dernière et unique colonie de peuplement de la France désormais. La précédente étant l’Algérie, qui, jusqu’en 1962, faisait partie intégrante de la France. Pour la Nouvelle-Calédonie, la colonisation de peuplement est passée par une confiscation des terres et le « code de l’indigénat », les réserves indigènes, autrement dit la non-reconnaissance de l’identité kanake : méconnaissance de leurs langues, coutumes, de leur culture, de leur organisation horizontale, clanique (par tribus), de leur relation au temps, cyclique, de leur relation à la parole donnée.
C'est le 24 sept 1853, que le drapeau français est planté sur ce bout de terre, à 22 000 km par voie maritime de la France, baptisé « new Caledonia » par James Cook qui en découvre l’existence en 1774. Dès 1841, des missionnaires, protestants, puis catholiques, s’y installent pour évangéliser les « indigènes » et les « instruire » comme on dit alors. Quelques années plus tard, Napoléon III, qui cherche à établir une nouvelle colonie pénitentiaire, y installe un Bagne, en 1864. « La Nouvelle », comme on le surnomme, est un établissement pénitentiaire de type colonie pénale, qui accueille près de 21 000 prisonniers entre 1864 et 1898, date de sa fermeture. Les premiers colons sont donc, majoritairement, des « transportés », des condamnés à des peines de longue durée, et des « relégués » ou récidivistes, soumis à l’obligation de rester sur l’Archipel à leur libération.
Puis, dès 1872, arrivent les « déportés politiques » de la Commune, et de la révolte Kabyle en Algérie. Il y a ainsi une communauté arabo-berbère, assez importante en Nouvelle-Calédonie, sur la côte ouest ; une dénommée "vallée des Arabes" en témoigne.
En 1878, 25 ans après la prise de contrôle française, une première révolte éclate, menée par le grand chef Ataï dont les restes (le crâne notamment) dormiront 176 ans dans les réserves du musée de l’Homme à Paris avant d’être rendus aux siens en 2014, lors d’une commémoration symbolique.
1887 : le code de l’indigénat, fait des Kanaks (le terme vient de l'hawaïen et signifie « homme libre »), des « sujets de la France », parqués dans des réserves et ne jouissant d'aucun droit civil. Ils sont alors soumis aux réquisitions de main d'œuvre au profit des autorités et des colons. C’est en 1946 seulement qu’ils obtiennent la liberté de circulation, de propriété, et leurs droits civils. Le droit de vote n’est que très progressivement appliqué : seuls 267 kanaks sont admis à voter en 1946 et il faut attendre 1957, pour que les Kanaks soient autorisés à voter, chez eux, pour l’avenir de leur terre.
Le processus d'auto-détermination de la Nouvelle-Calédonie et son corps électoral
La définition d'un corps électoral spécifique pour les élections provinciales et les votes sur l'auto-détermination de l'île s'est tricotée au fil des accords de Matignon (1988) puis de Nouméa (1998). Après une quasi-guerre civile en 1984 entre les Caldoches (descendants des bagnards et des transportés) et les Kanaks, guerre "de pauvres" selon Véronique. Les deux parties réconciliées ont pu travailler ensemble et décider du processus d'auto-détermination de la double population : trois référendums possibles pour se prononcer pour ou contre l'indépendance, auxquels peuvent voter tous les Kanaks, et les Caldoches présents en 1988 ainsi que leurs enfants nés à partir de 1998 sur place. Le premier référendum a lieu en 2018, le second en 2020. Dans les deux cas, le "non" à l'indépendance l'emporte, mais le "oui" est très élevé et progresse. C'est le troisième référendum qui va aiguiser la colère des Kanaks : la pandémie de Covid 19 a durement frappé la communauté kanake qui s'estime encore en période de deuil et qui refuse donc de participer au vote fixé au 12 décembre 2021. C'est à partir de ce moment que les rancœurs se développent, contre le gouvernement français et contre les Hexagonaux.
Le mouvement qui a éclaté le 13 mai 2024 est lié à la volonté du gouvernement français de réviser le corps électoral des élections provinciales pour y intégrer des Français installés sur l'île plus récemment.
Du conflit historico-politique au conflit social
En revenant à Nouméa en novembre 2023, Véronique a été frappée par les tensions sociales visibles, la ségrégation (raciale) plus aiguë, plusieurs centaines de SDF qui dorment dans la rue, l'alcoolisme, la dépendance à un cannabis plus délétère qu'en métropole. Une désespérance sociale doublée d'une amertume politique. Il n'en fallait pas plus pour mettre le feu aux poudres. La CCAT (Cellule de coordination des actions de terrain), originellement créée pour faire vivre pacifiquement le mouvement indépendantiste, s'est retrouvée dépassée par des "émeutes urbaines" : elles sont le fait des plus jeunes, elles ont lieu dans la ville de Nouméa, à la différence de ce qui s'était passé en 1984 quand le mouvement contestataire avait lieu essentiellement en brousse. La "transportation" des militants de la CCAT arrêtés le 19 juin 2024 vers l'hexagone a relancé une colère qu'on croisait apaisée du fait de la dissolution de l'Assemblée nationale et de la suspension de la réforme du corps électoral le 12 juin 2024.
Un réseau Nouvelle-Calédonie Finistère
Désireuse de repartir en Nouvelle-Calédonie pour y réaliser un reportage et montrer ce qui fonctionne dans l'île, Véronique Le Roux est pour l'instant dans l'expectative. Elle cherche aussi à tisser des liens en Finistère avec celles et ceux qui ont des attaches en Nouvelle-Calédonie et qui s'intéressent à l'avenir du "caillou". Adressez-vous à la radio si vous souhaitez la contacter.